Causer, discuter, converser

La pluie de ce dimanche m’a ramené à la lecture et à l’écriture. En feuilletant mon fidèle dictionnaire étymologique, je me suis amusé à rechercher l’origine de plusieurs mots qui évoquent le fait de se parler ; ce n’est pas sans surprises… et quelques enseignements !

conversationQuoi de plus banal que de se parler ? Et pourtant nous avons éprouvé, avec raison, le besoin de multiplier les mots pour le dire. Chacun sent qu’entre causer, discuter ou converser, on monte en sophistication. On peut causer n’importe où (et de n’importe quoi) mais converser se fera sans doute au salon, sur des sujets plus recherchés (nous avons tous, dans notre imaginaire, l’esprit français des Salons du XVIIIème siècle). Discuter, sans doute en lien avec la proximité phonétique de disputer, semble moins policé que converser et plus polémique que causer qui n’engage pas trop loin dans l’argumentation et la « guerre des mots » de la polémique…

Cette diversité des mots est encore plus nette quand on regarde du côté de l’étymologie (merci Alain Rey !). Le cheminement des mots bouscule la hiérarchie que nous venons d’esquisser. Causer vient du latin juridique que l’on retrouve dans l’expression « plaider sa cause ». Converser – cum versari, se tourner ensemble – évoque plutôt la proximité de la fréquentation d’un lieu ou d’une personne y compris sur le plan amoureux. Quant à discuter, il veut dire à l’origine fracasser (!) puis, en langage ecclésiastique, examiner, enquêter.

Se parler, ce serait ainsi lier l’intime et le public qu’il soit celui du droit, de la religion ou de la politique (parler et Parlement sont évidemment d’origine commune). Se parler suppose donc à la fois de la familiarité et de l’éloquence. Multiplions donc les causeries, les discussions, les conversations comme autant d’antidotes au repli sur soi mutique et aux soliloques populistes. Le vivre ensemble est avant tout un parler ensemble.

 

 

Convergence

Un texte, sur le chemin (aérien) des vacances… avant de laisser Nuit debout de côté pour profiter pleinement de la Sicile où je passe la semaine !

J’étais hier midi avec mes amis du collectif ArchipelS. Nous ne nous étions pas tous réunis depuis longtemps. Naturellement le premier sujet que nous avons abordé a été Nuit debout. Après un premier décorticage de ce qui se passe par celles et ceux qui sont allés sur place, on voit vite qu’un éclaircissement de nos positions est nécessaire. « Tu veux dire que le mouvement devrait se structurer ? moi, je pense que c’est bien qu’il reste dans l’incertitude. Vouloir un débouché rapide est le plus sûr moyen que ce soit un échec », « Non, je ne veux pas une structuration, plutôt une clarification pour éviter la déception si ça se prolonge sans résultat « classique » du type retrait de la loi ou naissance d’un mouvement politique ». Nous sommes en fait largement d’accord pour dire que l’apport essentiel de Nuit debout est sa dimension « éducation populaire ». Chacun reconnaît la qualité de l’organisation des prises de parole qui oblige à s’exprimer brièvement et donc à entendre une multiplicité de points de vue. On réinvente parfois l’eau tiède ? Oui, mais ça permet à des personnes peu averties des sujets (les biens communs, le revenu d’existence, les débats constitutionnels…) de se les approprier plutôt que de les découvrir tout-pensés… par d’autres ! L’idéal serait que l’on ne fasse que passer par les places de la République et d’ailleurs puis qu’on aille rejoindre tel ou tel projet ou combat avec d’autres déjà investis sur ces sujets.
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Téléréalité politique

Alain Juppé hier, le président de la République il y a quelques jours. La télé met « des Français » face aux politiques. Une dérive ? ou une recomposition inaboutie ?

Je lis depuis quelques temps une nouvelle publication en ligne The conversation, un ovni médiatique qui cherche à traiter l’actualité en faisant travailler ensemble journalistes et universitaires. Les papiers sont en règle générale plutôt courts pour des universitaires et plutôt longs pour des journalistes, ce qui est bon signe dans les deux cas ! Cette aventure éditoriale est née en Australie face à la faiblesse de la presse et se développe dans plusieurs pays dont la France sous la responsabilité de Didier Pourquery ancien du Monde.

J’y ai trouvé ces derniers jours une cartographie plutôt bien faite des enjeux de l’économie du partage, plusieurs papiers sur les suites de la COP 21, une proposition d’alternative au vote assez convaincante,…

C’est donc avec confiance que je me suis tourné vers un papier intitulé : La téléréalité a exporté ses méthodes et sa vision de la société dans les émissions politiques

Evidemment intéressé par ce sujet au carrefour de la politique et de la communication, j’y trouve hélas, au travers de la critique classique de la personnalisation du débat politique, un refus très « républicain » de toute expression personnelle. Dans l’espace public seuls les citoyens seraient admis, les citoyens étant ceux qui laissent de côté toute dimension personnelle ou professionnelle pour ne plus proférer que des propos dictés par l’intérêt général. Je caricature ?

Voici quelques extraits qui montrent bien la vision de l’auteur :

Le problème de l’identité comme mode représentationnel est qu’il est morcelé et excluant, ante ou antipolitique, du moins anti républicain, puisque dans res publica, il y a la chose commune et l’intérêt général. Mais pour qu’intérêt général il y ait encore faut-il réaffirmer la césure certes non étanche entre « personne » et « citoyen ».

(on notera juste la concession sur la non-étanchéité de la « césure ».)

Une personne répond à une autre personne. Un individu qui aurait le pouvoir répond à celui qui n’en aurait pas et vient soumettre ses doléances très personnelles, étendues à la limite à ses semblables sociologiques, qui peut-être se reconnaîtront en lui, peut-être pas : aucun mandat ne lui a été donné.

Il n’y a plus de fonction mais des hommes, il n’y a plus de citoyens, mais des personnes, il n’y a plus de pensée, mais de l’affect, il n’y a plus d’institutions et de séparation des espaces, mais des spectacles où tout est confondu.

Je ne défends pas la manière dont se passent aujourd’hui ces émissions. J’ai déjà dit ici combien l’exercice était impossible https://www.persopolitique.fr/677/le-president-face-aux-francais-et-si-on-essayait-avec/. Je proposais qu’on sorte du face à face pour tenter, de temps en temps, le pas de côté. La politique devrait aussi pouvoir être une manière de regarder un problème ensemble, citoyens et responsables politiques. Je me le disais encore en regardant Alain Juppé sur Canal+, incapable de rebondir sur la parole de personnes venues échangées avec lui. Il se contentait de « répondre » par les mesures qu’il allait prendre s’il était élu (ce qui ne semblait plus faire beaucoup de doute dans son esprit). A aucun moment, il n’en est venu à « échanger » pour tenter d’imaginer en situation quelque chose de neuf. Questions (des citoyens) / Réponses (des politiques), pas d’alternatives au jeu de la représentation politique.

Si je reviens au papier de The conversation, il ne semble y avoir d’autres remèdes à la dérive vers la télé-réalité que la réaffirmation de la césure entre « citoyen » et « personne ». Outre que c’est inenvisageable (et d’ailleurs pas envisagé mais seulement déploré par l’auteur – qui n’est autre que Mazarine Pingeot mais je ne voulais pas le dire d’emblée pour ne pas créer d’a priori sur  ce qui est dit), ce serait une régression.

Je suis en effet persuadé que l’irruption des « personnes » dans l’espace public est une bonne chose, même si c’est dérangeant. Les « personnes » ce sont en fait des citoyens incarnés. Les « républicains » voudraient des citoyens abstraits, sans affects. Mais ça n’existe pas ! Et heureusement ! Les citoyens sont pour autant capables de s’abstraire de leur cas personnel pourvu que le dispositif dans lequel ils parlent le permette. Les Ateliers de la Citoyenneté l’ont bien montré. Rien de plus pénible que les personnes qui veulent parler « en citoyens ». Souvent, ces personnes se contentent de véhiculer des opinions certes générales mais toutes faites (vision idéologique et partisane, vulgate médiatique construite d’une accumulation de JT mal digérés,…). A l’inverse, combien de fois des échanges, vrais, profonds et créatifs se sont développés autour d’une expérience personnelle relatée avec le bon mélange d’émotion et de raison ! (la personne tirant elle-même de son récit les premières pistes de progrès qu’elle proposait à une assemblée attentive et toujours sensible à ces moments de vérité et du coup extrêmement constructive dans l’échange qui s’enclenchait).

Il faut donc une télévision inventive pour accompagner la montée en généralité des propos. La vie, la vraie, est une intrication (et non une confusion) de « personnel » et de « citoyen ». Chacun d’entre nous devrait s’exercer à passer d’un registre à l’autre, à nourrir sa réflexion politique de ses expériences (pour avoir une parole plus vraie), à nourrir sa vie de ses débats politiques (pour construire des solutions concrètes). Et les politiques, plutôt que de succomber à une personnalisation/peoplisation, devraient eux aussi mieux naviguer entre logique de représentation (forcément à distance) et logique d’élaboration collective (nécessairement en empathie). Les plateaux télé ne sont sans doute pas les lieux les plus adaptés à ce dernier exercice mais il faut pourtant s’y risquer. Les autres approches sont des impasses : la distance républicaine passe pour de l’indifférence ; la connivence « people » ne fait plus illusion. Entre les deux, il peut sans doute y avoir une téléréalité politique mais elle reste à inventer ! Cette « réalité » sera forcément « construite » – et donc pour une part factice – mais n’oublions pas qu’il y a TOUJOURS une part de jeu, même dans la représentation politique. Ce n’est pas un hasard si le même mot de « représentation » est utilisé pour le théâtre et pour la politique. Alors inventons !

 

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