Repenser le « gouvernement » local, urgence des municipales

Les élections de 2020 sont particulièrement importantes pour renouveler nos pratiques démocratiques. Espérons que les violences récentes à l’égard de quelques maires ne nous détournent pas de la question cruciale du « bon gouvernement ».

J’entendais il y a quelques jours, sur France Inter, la femme d’un maire qui craignait pour la vie de son mari. Cet élu venait encore d’être menacé, cette fois avec une tronçonneuse. « Je ne tolère pas la moindre incivilité » disait-il à son intervieweuse, « Dès qu’il se passe quelque chose, renchérissait son adjointe, il me téléphone : allo Coco, y a ça, j’y vais ». Cette agression est inadmissible mais doit-on la mettre au cœur de l’actualité ? Bien sûr une agression qui touche une personne dévouée au bien commun (ce maire ici, des pompiers ailleurs,…) nous parait de ce fait encore plus insupportable ; mais encore une fois, doit-on se focaliser sur cette question comme on semble commencer à le faire, pris dans le tourbillon médiatique ?

Même en hausse, cette violence reste en effet – et heureusement – assez faible, le reportage n’évoquait que 361 agressions ou incivilités à l’égard des maires l’an dernier sur 35 000 maires d’après une étude du Ministère de l’Intérieur. Avec la focalisation sur la violence, on risque de ne chercher que des réponses sécuritaires qui ne traitent jamais le fond des problèmes. Ce qui est pour moi le plus dérangeant dans cette manière de rendre compte de la réalité, c’est ce qui est dit en creux : le maire victime est héroïsé. Le maire apparait ainsi comme un bon maire parce qu’il incarne l’autorité et parce qu’il est prêt au sacrifice. Il ne compte pas son temps, il peut être appelé jour et nuit, il est toujours sur le coup,… Le Maire, même familier, même proche des gens est et reste « hors du commun », il s’écrit avec une majuscule.

C’est cette sacralisation de l’élu, cette mise à part, qui pose problème et contribue paradoxalement à aggraver le blues des élus dont on parle (un maire sur deux envisage de ne pas se représenter en 2020 selon le Cevipof). Continuer la lecture de « Repenser le « gouvernement » local, urgence des municipales »

Cet été, je suis allé en Arcanie !

Ne cherchez pas l’Arcanie dans un atlas où sur google map ! D’ailleurs le territoire est moins important que le régime politique qu’il a choisi : la misarchie. Un voyage stimulant et réjouissant !

Cet été j’ai voyagé comme j’en ai pris l’habitude, alternant séjours en famille et continuation de ma découverte du pays basque, de part et d’autre d’une frontière dont on comprend, ce faisant, la part d’arbitraire. Mais j’ai aussi voyagé en Arcanie, grâce au livre d’Emmanuel Dockès[1], à la découverte d’un système politique qui tend vers l’hyper-démocratie en limitant tous les pouvoirs : ceux de la finance, de l’Etat et aussi de la propriété. C’est d’ailleurs pour cela que l’auteur parle de misarchie. Non pas le « pouvoir de la haine » (si l’on reprenait la construction de mon-archie, le pouvoir d’un seul) mais plutôt « la haine du pouvoir » comme dans mis-anthropie ou miso-gynie. Un régime paradoxal puisque le pouvoir est organisé pour avoir le moins de pouvoir possible mais qui finalement prend simplement au sérieux les fondements de la démocratie libérale qui se méfiait elle aussi du pouvoir et qui a conduit aux « checks and balances » chers aux anglosaxons. En misarchie, le système des « contrôles et équilibres » (pour parler français) est nettement plus poussé. Sa logique est puissante et rend crédible ce « voyage en misarchie »… à défaut de le rendre probable !

L’Arcanie n’est donc pas un pays comme on les connait mais un territoire sur lequel s’organisent des associations volontaires et où la multi-appartenance ou les appartenances successives sont courantes. Quand le narrateur explique qu’il EST Français, ses interlocuteurs ne comprennent pas qu’il soit devenu Français automatiquement alors que le principe est chez eux de choisir et  de composer son identité, jusque dans son habillement.

Le narrateur découvre la misarchie sans y être préparé, à la suite d’un accident d’avion. Il s’installe spontanément dans la position du « civilisé » issu du Pays des Droits de l’Homme qui découvre des « primitifs » hors de la culture occidentale. Il commence donc par trouver le fonctionnement de cette contrée absurde, inconvenant ou dangereux mais sa résistance diminue au fil de ses rencontres et des échanges qu’elles permettent. On découvre avec lui comment fonctionne une entreprise où les apporteurs de capitaux n’ont pas le pouvoir mais où, par des droits « fondants » dans le temps, l’entrepreneur y trouve néanmoins son compte. On voit comment des services publics peuvent exister sans Etat central grâce à une multiplicité de « districts » qui doivent négocier entre eux des compromis. La propriété, l’école, le travail sont réinventés pour une vie plus intense et organisée selon ses choix propres. On peut devenir avocat en étant encore une gamine ou après avoir été marin-pêcheur !

Il ne s’agit pas d’une utopie où tout serait parfait mais plutôt d’un bricolage pragmatique toujours perfectible où subsistent des tensions (inénarrables Cravates bleues  et autres Applatisseurs !). La cohérence d’ensemble du propos tient beaucoup à la logique du droit qui est le cœur du propos mais sans l’aridité d’une démonstration juridique. On entre progressivement dans cet univers et les notions utilisées deviennent vite familières : AT (association de travailleurs), districts, golden share, rotations infantiles, DET (dette de l’entreprise à l’égard des travailleurs)…

Une lecture qui sera fort utile au projet de l’Imaginarium-s !

Entendre Dockès en parler : https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/un-monde-sans-chef-lutopie-demmanuel-dockes

Lire une critique rapide mais bien vue : https://blogs.mediapart.fr/thomas-coutrot/blog/160417/la-misarchie-une-utopie-credible-et-jubilatoire

Approfondir dans un interview papier plus longue : https://www.nonfiction.fr/article-9314-entretien-avec-emmanuel-dockes-a-propos-de-son-voyage-en-misarchie.htm

 

[1] Emmanuel Dockès, Voyage en misarchie – Essai pour tout reconstruire, Editions du Détour – 2017

Avec Jean-Pierre Worms

Quelques mots sur un compagnonnage… qui s’interrompt un peu trop brutalement

Jean-Pierre Worms est mort hier et j’ai de la peine à le croire. J’ai aussi de la peine, tout court. La dernière fois que je l’ai eu au téléphone, j’avais bien senti que la maladie progressait incroyablement vite ; Jean-Pierre pour la première fois laissait transparaître sa fatigue. En raccrochant, alors qu’il venait de me dire qu’il ne remarcherait sans doute pas, je comprenais qu’en fait sa vie allait s’interrompre. Lors de notre dernier déjeuner en avril, juste avant qu’il découvre sa maladie (il n’avait alors qu’un problème de hanche qu’il espérait résoudre par une « simple » intervention chirurgicale), il était comme je le connaissais depuis près de 20 ans : enthousiaste et projeté vers l’avenir. Depuis déjà quelques années, tout ce qu’il entreprenait était placé sous le signe de l’urgence. Les transformations en cours n’allaient pas assez vite et les logiques mortifères de l’hubris risquaient de compromettre l’avenir. Il recherchait toutes les initiatives qui pouvaient accélérer les transformations. Jean-Pierre a été fauché en plein élan, c’est sans doute ce qui est le plus dur. Bien sûr, il allait avoir 85 ans mais il n’était pas en fin de vie, tourné vers un passé qu’il aurait pu regarder avec la satisfaction du devoir accompli, Il était encore et toujours de tous les combats, nous poussant à agir, saluant les avancées, alertant sur les risques. Récemment, il me confiait avoir 10 ans devant lui pour agir, heureux de ne pas avoir trop de soucis de santé et encore assez d’énergie pour accompagner les initiatives qui lui paraissaient aller dans le bon sens.

Ce blog, c’était un peu celui de Jean-Pierre. J’ai découvert en préparant ce billet que je l’ai mentionné 12 fois, que nous avons co-écrit au moins deux textes et que j’ai publié un papier de lui, justement consacré à l’urgence d’agir. Il me disait souvent que j’étais un peu sa plume, lui qui (prétendait-il) avait du mal avec l’écrit. J’avoue en avoir toujours été très fier et j’étais toujours heureux comme un gamin quand il faisait un commentaire élogieux (il n’en était pas avare et bien sûr pas qu’avec moi !). J’y étais d’autant plus sensible que vers la fin des années 90, j’avais lu un article de lui sans le connaître encore dont je m’étais dit que j’aurais pu l’écrire, mot pour mot. Cette sensation, je ne l’ai eue qu’une fois à ce point. Ma première rencontre avec Jean-Pierre a donc été écrite… et puissante. J’ai aussi un souvenir très vif de la manière dont nous nous sommes rencontrés. Didier Livio avec qui je travaille, me hèle à au moins trois ou quatre cases de marelle du bureau où je suis installé (les bureaux de Synergence sont à l’époque installés dans un ancien atelier tout en longueur du passage du cheval blanc à la Bastille ; sur toute la longueur un tapis s’étend devant les verrières et une immense marelle y a été dessinée). « Au fait, il faut que je te parle d’un projet qui devrait t’intéresser, le Laboratoire du futur, c’est Jean-Pierre Worms qui s’en occupe. Tu le connais ? » J’ai évidemment sauté sur l’occasion de voir en vrai ce sociologue dont je me sentais si proche sans le connaître ! Et je l’ai rencontré à une réunion du Labo et les choses se sont enchaînées naturellement. Jean-Pierre a tout de suite cru au projet des Ateliers de la Citoyenneté et l’a accompagné. Nous ne nous sommes plus quittés même quand nous passions plusieurs mois sans nous voir.

Je vous invite à relire ce texte de lui. Son urgence est toujours actuelle et il n’est plus là pour nous pousser à l’action. Nous devons donc prendre le relais.

https://www.persopolitique.fr/993/urgence-de-la-transition-necessite-de-sa-mise-en-oeuvre/

 

 

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