Réfugiés : et si….

Je reviens sur la question des réfugiés… elle est emblématique de ce rapport entre médias, société civile et Etat. De sa transformation en cours. Et si les réfugiés pouvaient en bénéficier ?!

Le mouvement semble enclenché. Les signes se multiplient d’un élan en faveur des migrants. Pour autant on est encore loin de ce que j’appelais de mes vœux dans mon précédent billet. C’est la vague émotionnelle, nécessairement la première phase, celle qui crée une rupture dans l’ordre des choses. Le problème est que la plupart du temps cette phase est suivie… d’un retour à l’ordre des choses. Quels changements significatifs ont suivi ainsi l’émotion du 11 janvier dernier ? Il a manqué un double enclenchement : de la prise de conscience vers l’action et de la société civile au politique. La société civile n’a pas su proposer de suites réellement tournées vers l’action. Plusieurs mouvements ont voulu pousser à des rencontres citoyennes tous les 11 du mois, ce qui pour moi était un non-sens puisque cela consistait à rejouer sans cesse la même scène sans avancée ni symbolique ni concrète. Ce que j’avais prôné sans capacité à le mettre en œuvre était davantage tourné vers l’action (un téléthon de la fraternité) mais pas assez évident pour être repris. Le passage de la société civile au politique ne s’est pas opéré non-plus, le président de la République s’est référé durant plusieurs semaines à l’esprit du 11 janvier… sans rien en faire d’autre qu’une posture commode.

Pourquoi en irait-il autrement cette fois-ci ? Sans doute parce que la crise des réfugiés est beaucoup plus concrète : nous avons sur notre sol européen des femmes, des hommes et des enfants et nous devons décider quel accueil nous leur offrons. C’est une question simple ! C’est aussi une question immémoriale, puisqu’en fait c’est la question de l’hospitalité. L’hospitalité, même chez les plus démunis des peuples de la terre, est une obligation morale. On ne laisse pas dehors celui qui demande l’hospitalité. Le peu que l’on a est partagé avec l’inconnu qui s’est présenté. C’est ainsi. Bien sûr il faut distinguer l’asile et l’hospitalité mais l’une comme  l’autre relèvent des mêmes obligations morales qui ne se discutent pas. Et nous devons bien constater avec un malaise terrible, que, nous qui sommes les privilégiés de la terre, nous étions en train de tout faire pour nous soustraire à cette obligation morale ! On a donc à la fois une question simple et une conscience qui ne nous laisse pas en paix.

une des initiatives d’hébergement de réfugiés

C’est sans doute un point de départ assez fort pour que quelque chose se passe cette fois-ci. Le passage à l’action est donc assez immédiat : des bourses de logements disponibles se créent, facilitées par l’usage d’internet, des élus locaux proposent des solutions de micro-accueil. Ce que je pointais déjà dans mon billet de jeudi, mais maintenant à une échelle plus significative (en tout cas avec une reprise médiatique). Les médias trouvent une occasion d’émissions spéciales qui peuvent avoir elles-aussi un impact et renforcer le mouvement naissant. Ainsi France Inter organise une émission spéciale de 3 heures lundi de 18h à 21h. Mais la question essentielle sera celle du deuxième passage, le passage de la société civile au politique. Et celui-ci n’est pas encore en vue, hélas. Il ne s’agit pas pour moi, quand je parle du passage au politique, de renoncer à ce que fait la société civile et de passer à des solutions d’Etat, au contraire ! Le passage au politique devrait permettre de déployer plus largement les solutions souples de la société civile en leur permettant de durer dans le temps. Encourager, faciliter mais pas faire à la place. Car l’Etat ne peut proposer que des solutions globales, lourdes : des camps, des règles, des obligations là où il faut simplement veiller à ce qu’un élan citoyen ne s’essouffle pas.

Mais est-ce réaliste de penser que la société civile puisse se mobiliser au-delà de l’émotion ? Les tenants d’une société fermée sont-ils plus réalistes ? Je reviens une nouvelle fois à Thomas Legrand, l’éditorialiste de France Inter. Vendredi il commentait un sondage :

…le sondage ELABE pour BFM. Il dessine une France majoritairement renfermée et incapable d’ouvrir les yeux sur la misère du monde. 56% des Français refusent que la France accueille des réfugiés. Pour apprécier la noirceur de cette réponse, il faut relire la question qui était posée. La voilà : L’Union européenne fait face à un afflux de migrants et de réfugiés, notamment en provenance de Syrie. Selon vous, la France doit-elle accueillir une part de ces migrants et réfugiés sur son territoire ? Vous avez bien entendu : la France doit-elle prendre une part de cette misère ?…Et bien c’est Non ! Il ne s’agit pas d’ouvrir inconsidérément les frontières ou de changer notre politique migratoire…il s’agit simplement de respecter une tradition dont ne cesse de s’enorgueillir le pays de Victor Hugo : donner asile à ceux qui fuient la guerre et l’oppression. Comme si les Syriens faisaient ce périple pour le RSA ou la CMU. Nous sommes devenus un pays pusillanime, abreuvé de discours identitaires et « déclinistes »

…et ce faisant, il abreuve lui-même le discours décliniste. Les éditorialistes prennent toujours les mesures de l’opinion pour des faits objectifs (ce qui ne les empêchera pas de critiquer les sondages au moment des élections). L’opinion n’existe pourtant pas en tant que telle, comme une donnée préexistante qu’il s’agit de mesurer, elle se construit tous les jours et pour se construire, elle s’alimente de tout ce que les médias lui donnent à voir, de toutes les discussions au travail et dans les familles,…. J’espère que nous aurons un nouveau sondage lundi qui montrera des changements dans l’opinion, et cette opinion ne sera pas plus « vraie » que la précédente. Et si le réalisme consistait à considérer que rien n’est acquis, ni le pire ni le meilleur ? Ne doit-on pas tenir pour réaliste le fait que la pâte humaine se travaille et que le pire est de renoncer à la travailler en prétextant savoir qu’elle est bonne à être jetée ? Méfions-nous des prévisions autoréalisatrices ! A force de dire que la France est une société fermée, on agit sur elle et on la rigidifie. Je préfère de loin ceux qui, ni plus ni moins réalistes, partent du principe qu’il faut agir sans attendre de savoir ce qui fonctionnera ou pas.

Je conclue avec Matthieu Ricard et la sagesse amérindienne (merci à Claire Jouanneault de me l’avoir rappelée) :

Un vieil amérindien à son petit-fils : « Une lutte impitoyable entre deux loups se déroule en nous. L’un est mauvais – il est haine, avidité, arrogance, jalousie, rancune, égoïsme et mensonge, l’autre est bon – il est amour, patience, générosité, humilité, pardon, bienveillance et droiture. Ces deux loups se battent en toi comme en tous les hommes. » L’enfant demande : « lequel va gagner ? ». Le vieil homme répond : « Celui que tu nourris. » Voilà, c’est dit. Cité par Matthieu Ricard in « Plaidoyer pour l’altruisme, la force de la bienveillance »

Démocratie, sous le soleil…

Les vacances sont là, ou bientôt là ! Plus de temps pour lire, pour échanger, … pour écrire peut-être ! Je vous le souhaite. je serais en tous cas heureux de poursuivre nos conversations à distance. je commence,…

Premier jour de vacances. Soleil. Chaleur. Cigales. Odeur des pins. Bruit du vent, haut dans les branches… Je suis bien. Je suis dans  mon élément. Ce matin à 7h, j’étais dans la mer, seul. Pas une ride sur l’eau. Une lumière si douce lie mer et ciel dans une continuité de bleus et de jaunes très pales, le soleil à peine émergé des pins, sur les rochers. De minuscules bateaux de pêche rentrent un à un dans le port de Carro jouxtant la crique où je me baigne. Oui, mon élément. La Méditerranée est, plus encore que ma Charente natale, le lieu où je suis immédiatement  bien. Sans  doute les longues vacances d’été au sud de l’Espagne, enfant et adolescent, m’ont acclimaté à cette chaleur immobile. La magie des odeurs et des réminiscences, portée par  un souffle  d’air sous le chêne vert où je suis allongé, m’a amené loin de ce réfugié d’Afghanistan, l’enfant héros de ma première lecture estivale. Et puis, sans doute parce que cette présence, plus  forte que ma lecture, de l’Espagne de  mon enfance, du midi où je suis pour la journée, m’amènent à penser à la Grèce dont je me  sens si proche pour tant de raisons, personnelles et philosophiques, je reviens à ma préoccupation de tous les jours depuis des semaines : le moment très particulier  de notre histoire que nous sommes  en train de vivre avec la  tentative désespérée de Tsipras pour changer  la donne  européenne.

L’image de Tsipras épuisé, à la Une du Monde économie, me hante. Tsipras à la Une du Monde économieQuoi qu’on pense des positions politiques de Syriza, ce combat du gouvernement grec pour chercher une alternative à l’austérité bornée qui leur est imposée me touche. Il me touche d’autant plus qu’il semble se heurter à un mur. L’Europe devient chaque jour davantage une citadelle refermée sur ses certitudes et ses peurs. Refus de donner des  perspectives aux  Grecs, refus de prendre en compte les migrants des rives sud de la Méditerranée,… tout participe de ce complexe obsidional.

Nous évoquions avec l’éditeur et scénariste de bande dessinée Olivier Jouvray cette peur qui saisit aujourd’hui les élites, qui les  tétanise et les rend agressives. On n’est plus dans la  rationalité froide de ceux qui comptent mais dans la défense identitaire d’une croyance tellement ancrée que la réalité est déniée. Celui qui n’est pas d’accord n’est plus seulement un adversaire, c’est un fou dangereux. Regardez comment on a  parlé de Tsipras ! J’ai ainsi entendu le politologue Dominique Reynié, habituellement mesuré, se  déchaîner littéralement contre le choix de Tsipras de recourir  au référendum puis au vote du Parlement. J’avais  lu dans les années 80 un livre qui m’avait beaucoup frappé : la falsification du bien d’Alain Besançon. L’auteur y dénonçait la fermeture  du discours soviétique capable de retourner le moindre argument contraire, de le « falsifier »….. J’ai de plus en plus le sentiment que l’Europe en est arrivée à cette incapacité à se remettre en cause. Le débat continuera, mais ce sera de plus en plus illusoire. Ce qui est  terrible, c’est qu’on pourra justifier longtemps ce théâtre  d’ombre. La démocratie est prise au piège de ce qui a  fait sa puissance de transformation : le « faire  comme si » est en train de devenir un « faire semblant », mais c’est très difficile à rendre évident aux yeux de tous. Je m’explique. Le  « faire comme si », Philippe Dujardin l’explique très justement sur le blog du Laboratoire de  la Transition Démocratique. La démocratie, nous dit-il, suppose de ne pas s’arrêter à la réalité des inégalités, c’est une fiction, une construction, un processus dont on dit qu’il est advenu pour qu’il advienne.

 

L’assemblage des égaux, opère par escamotage, dénégation ou mise en oubli des écarts et distinctions de la condition de ses membres. […] Les égaux sont pensables comme des êtres de « fiction ». Encore faut-il redonner à fiction le sens premier qui est le sien, soit « façonnage », « fabrication ». Le façonnage de la cité, au sens grec et athénien, qui est toujours le nôtre, a pour condition de possibilité, non l’égalité  mais l’égalisation ; l’égalisation ne peut s’accomplir sans le truchement de l’opérateur du « comme si ». C’est sous effet du « comme si » que la voix d’un inexpert de 18 ans vaudra celle du président français du conseil constitutionnel ; c’est sous effet du comme si que, lors d’une assemblée générale de l’ONU, la voix d’Antigua (70 000 hbts), vaudra celle de l’Inde (1 210 193 000 hbts). Il ne faut cesser de nous en étonner !

 

Le problème est qu’aujourd’hui la logique fictionnelle de la démocratie tourne au « faire semblant ». On prend prétexte de l’égalité (la Grèce ne vaut pas plus que chacun des 18 autres membres de l’eurogroupe) pour éviter tout surgissement d’une parole dérangeante. Il ne faut pas oublier l’équation de « Douze hommes en colère ». Par le jeu de l’argumentation celui qui est seul au début à défendre un point de vue peut, par la seule force de l’argumentation, changer le destin qui semblait écrit d’avance. Et si la démocratie était tout entière dans le fait que rien ne soit écrit d’avance ? Que l’histoire s’écrit au fur et à mesure dans le surgissement des paroles contraires et pour tant complémentaires, s’acceptant comme  telles ? C’est ce mouvement qui semble aujourd’hui s’enrayer. La démocratie est vue désormais par trop d’Européens « raisonnables » comme un capital qu’il ne faut pas dilapider dans de folles  gesticulations, alors que la  démocratie véritable accepte de n’être rien qu’un processus toujours en cours et toujours incertain. Logique de flux contre logique de stock !

Deux visions  diamétralement opposées et pourtant née  l’une et l’autre sur le principe que la démocratie est un idéal et non une réalité. Mais  un idéal à préserver dans des symboles intangibles pour les uns, un idéal à construire dans l’acceptation de l’impromptu pour les autres.

 

Je termine ce texte, non plus sous les pins et les chênes verts du midi mais dans la douceur d’un matin charentais. Entretemps je suis passé par Toulouse où nous avons rencontré les parents d’une amie de Claire. La soirée passée avec eux a été riche d’échanges… sur la question démocratique (mais aussi d’un excellent cake à la menthe et à la ricotta et de  pâtes fraiches aux crevettes). Une fois encore, j’ai été frappé de la convergence  de vues possible entre personnes au parcours si différents. L’un et l’autre,enfants d’immigrés italiens, grandis dans la  sidérurgie finissante et sortis du milieu ouvrier par les études (lui chercheur en philosophie, elle enseignante et militante à l’extrême gauche).Moi, issu de cinq générations d’industriels, fondamentalement libéral (au sens politique), même si la plupart de mes interlocuteurs me considèrent de gauche ! Notre discussion sur le tirage au sort des députés a montré  une fois encore  que ce sujet est désormais mûr.

 

Pourquoi mêler ainsi considérations personnelles sur les vacances, les rencontres, et réflexion sur la Grèce et la démocratie ? La présence des cigales ou de la mer n’apportent rien, apparemment, à mon raisonnement sur la démocratie. N’y a-t-il pas, même, une forme d’indécence à lier ainsi plaisir du farniente et drame grec ? Pour moi, c’est et ça a  toujours été une même trame. J’ai toujours écrit ainsi, d’abord dans un cahier vert dès 1982, ensuite dans la lettre des Ateliers, maintenant sur ce blog. Ma réflexion est intimement liée aux émotions de la vie et il me semble naturel d’en tracer la généalogie, au fur et à mesure.

J’en reviens à ce point à ma conversation avec Olivier Jouvray, le scénariste de BD. Il pousse les étudiants d’Emile  Cohl à se mettre en scène dans les récits qu’ils inventent. Partir de leur réel plutôt que faire de la fiction à partir de la fiction des autres, dans une redite des récits qu’ils ont dévoré adolescents. Nous étions donc d’accord sur la nécessité d’un récit de la démocratie qui vient. Pas un simple témoignage sur les initiatives existantes, pas une fiction sur une utopie abstraite. Sans doute un aller et retour entre anticipation et reportage, entre  réflexion et expérience vécue.

Sur ce blog ou avec la Lettre des Ateliers, je n’ai jamais reçu autant de commentaires que lorsque l’émotion rejoignait le questionnement. Le questionnement, pas les affirmations rationnelles et péremptoires. Les  questions sont plus intéressantes que les réponses, souvent !

 

La Marseillaise de trop ?

La Marseillaise entonnée à l’Assemblée Nationale ! Pour la première fois depuis la fin de la Première guerre mondiale. Pour moi, je crois que ça a été le déclic, hier soir en voyant les images à la télé. On en fait trop. Il est temps de changer de registre !

La Marseillaise entonnée à l’Assemblée Nationale ! Pour la première fois depuis la fin de la Première guerre mondiale. Pour moi, je crois que ça a été le déclic, hier soir en voyant les images à la télé. On en fait trop. Sous le coup de l’émotion tout était justifié. Dimanche les millions de personnes dans la rue, les représentants des Etats d’Europe, d’Afrique et du Proche-Orient, et même les dictateurs. L’union contre la barbarie. Une fois pour toutes. C’est dit en silence, c’est dit avec des salves d’applaudissements qui naissent et disparaissent puis reprennent, obstinément. Voilà ça suffisait.

Mais hier soir, l’enflure commençait à poindre sous l’émotion légitime. Et des questions, vite refoulées, viennent à l’esprit. On se met à comparer les millions de morts de 14-18 et  les 17 victimes de cette semaine de janvier en se demandant si cette Marseillaise commune aux deux événements est légitime. Bien sûr le premier mort est inacceptable, et pourtant… On ravale bien vite ce décompte malséant, mais il a traversé l’esprit. Et tout risque de venir dès  que le fil de la pelote est tiré.  Le pays est-il réellement en danger parce que des cinglés manipulés par des fanatiques s’attaquent à un journal satirique ?  Imagine-t-on réellement que notre civilisation est en train de s’écrouler à cause de ces misérables ? Personnellement je ne le crois pas du tout. On nous parle de guerre asymétrique mais n’est-ce pas un simple accès de violence aveugle comme on en a connu bien d’autres au long de notre histoire de la bande à Bonnot à la bande à Baader ? Ne sommes-nous pas beaucoup plus menacés par le péril de la financiarisation et de l’hubris généralisé ?

La culture religieuse a du bon : on y apprend que toute épiphanie n’est qu’un instant où une réalité invisible se dévoile. Lors de la Transfiguration, Jésus apparaît tel qu’il est à ses disciples qui en perdent les pédales et veulent rester sur la montagne, dresser la tente,… Jésus les ramène vite à leur réalité terrestre et les invite à redescendre dans la plaine. Dimanche a été une épiphanie (une manifestation) de la République, ne cherchons pas à la faire durer artificiellement. Elle perdrait toute consistance. Gardons cette journée comme un temps de concorde nationale, comme un signe qu’au-delà de nos divisions, nous avons une communauté de destin… Mais cette concorde n’a pas vocation à durer, le conflit est légitime. On s’est simplement rappelé (mais c’est essentiel !) que nous pouvons vivre ensemble sans être d’accord.

Le temps est venu de prendre des initiatives concrètes pour que nos appels à la fraternité ne restent pas vains. La fraternité n’est pas l’absence de conflit, l’unanimisme béat. C’est simplement la certitude que la discussion peut faire avancer bien plus que l’opposition frontale, qu’il y a du commun entre nous… même si parfois il est dur à trouver. Dans l’émotion, j’ai parlé de brigades du débat et du rire… Certains ont dit chiche. D’autres voies peuvent être explorées. Des initiatives sont en germes ici ou là. Redescendre de la montagne ne signifie pas renoncer à l’action, au contraire ! mais c’est prendre les chemins patients de la réalité humaine.

Nous avons vu à quel point le besoin de débattre était pressant. Rien que pour ce blog, le nombre de lecteurs s’est multiplié. Vous avez été plus nombreux que jamais à commenter, directement ou par mail. Des propos graves, réfléchis ont été tenus. Des interrogations ont été réaffirmées avec force : la notion de « fraternité » ne va pas de soi, certains craignent qu’elle nous éloigne du devoir de solidarité, qu’elle nous enferme dans une forme de communautarisme. Mais on peut voir la fraternité de façon très différente, comme la reconnaissance d’une capacité de toute l’humanité à « agir en frère » justement sans s’enfermer dans les fratries de sang ou d’appartenance. Une autre interpellation, plus véhémente, appelle à « laisser une place aux athées » sans laisser penser, de façon implicite, que chacun a une foi. Lors du travail sur la laïcité aux Ateliers nous avions eu de la même manière des échanges beaucoup plus vifs que sur les autres sujets. On touche là à des questions essentielles et que la futilité des temps laisse souvent sous le boisseau… Une proche de l’aventure des Ateliers résume bien la nécessité du débat :

Les échanges ci-dessous m’intéressent vivement. En tout cas, ils m’ont fait penser. Et penser seule, me semble pauvre et limitant. S’il est des temps où la réflexion démocratique prend un sens aigu pour moi, ce sont bien ceux-ci. Oui, la controverse est l’enrichissement indispensable où l’on peut écouter, entendre les points de vue différents. Pour ma part, je suis bousculée et peu certaine de mes positions depuis la semaine dernière. Je ressens un besoin urgent de me confronter à d’autres pensées. Alors, merci à vous pour le dialogue à construire ensemble.

Dans ces moments d’intense cogitation mutuelle, de nombreuses lectures nous ont été conseillées que nous avons à notre tour relayées. Ce matin je n’en retiens qu’une, celle d’Ali BenMakhlouf parue dans Libération (merci Francis !). Il parle de Latifa Ibn Ziaten, mère du militaire français Imad, tué par Merah en mars 2012 qui intervient depuis partout pour débattre de l’Islam (je l’ai vue sur le plateau de Pujadas, absolument remarquable, écoutée de tous et notamment de Badinter)

L’exemple de ce témoignage, à lui seul, suffit pour dire que les intellectuels n’ont aucun droit ni pouvoir exclusif de décrypter la réalité à la place des autres. Relisons le Maître ignorant de Jacques Rancière, où l’émancipation signifie que chaque personne issue du peuple, parce qu’elle est citoyenne, peut concevoir sa dignité humaine, «prendre la mesure de sa capacité intellectuelle et décider de son usage» (éd. Fayard, 10/18) sans qu’on vienne lui dire en quoi cette dignité consiste. Transmettre, ce n’est pas décrypter pour les autres, c’est débattre avec eux.

Que les politiques et les médias redescendent vite de la montagne où ils semblent se complaire, nous avons à faire ensemble, ici-bas. Qu’ils continuent encore sur le registre de l’émotion et ils dilapideront instantanément le crédit qu’ils ont regagné. Les symboles sont puissants mais ils se figent très vite en caricature. Merci de nous permettre de les garder vivants dans nos esprits et dans nos cœurs. Nous n’oublierons pas le 11 janvier. Et c’est heureux que la date qui va rester dans les mémoires soit celle de la marche de dimanche plutôt que celle des meurtres. Décidément ces apprentis terroristes n’ont même pas réussi à imposer leur 11 septembre.

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