Guère d’Ukraine

Toute guerre est bien sûr d’abord une polémologie mais quand le discours de chacune des parties prenantes conduit à invisibiliser la réalité d’un conflit DEJA meurtrier, il n’est pas inutile de s’arrêter sur les mots employés.

Comment peut-on tout faire pour éviter une guerre, comme on nous le dit sans arrêt depuis plusieurs semaines, alors que cette guerre a déjà fait 13 000 morts ? Entendu ce matin sur France Culture, ce nombre de morts dans les combats qui se déroulent depuis 8 ans dans le Donbass m’ont sidéré. Vérification faite, il y a bien eu une dizaine de milliers de morts en 2014 et 2015. Et depuis les combats ont continué entrecoupés de cessez-le-feu ajoutant encore d’autres milliers de morts aux milliers de morts.

On ne sait pas si, comme la guerre de Troie, la guerre d’Ukraine n’AURA pas lieu mais incontestablement elle A lieu au présent et elle A EU lieu au passé. Comment peut-on à ce point nier une réalité faite de combats menés à deux heures de Paris (deux heures et demie peut-être puisqu’on réserve l’expression « à deux heures de Paris » à des combats et à des morts non encore advenus ) ?

La guerre du Donbass n’est donc pas une guerre au cœur de l’Europe ; la guerre en Ukraine le serait et serait en cela inacceptable. Doit-on en conclure que le Donbass n’est déjà plus en Ukraine, n’y a jamais été, a été de tous temps en Russie ? Peut-on imaginer que pour nous occidentaux (et je suis naturellement dans le lot), on peut attaquer Donetsk et pas Kiev ? La partition du pays est-elle finalement aussi actée que l’est le rattachement de la Crimée dont plus personne n’imagine le retour à l’Ukraine ?

Ce conflit avait déjà un côté totalement fantasmagorique avec des déclarations sans lien avec la réalité. Côté occidental, on disait dans la même phrase que l’invasion de l’Ukraine aurait des conséquences incalculables mais qu’on ne ferait pas pour autant la guerre. Côté russe, les postures semblaient tout aussi irréelles : on se préparait à la guerre pour éviter une menace fantasmée et totalement inexistante.

Résumons. Une guerre est préparée pour éviter une guerre dont les adversaires potentiels ne veulent pas. Une guerre réelle a lieu et chacun fait comme si elle ne comptait pas. On en est là : les guerres fantasmées ont plus d’importance que les guerres réelles. On passe des jours et des nuits à éviter des guerres impossibles tout en laissant prospérer les guerres invisibles.

La « Guerre d’Ukraine » n’aura sans doute pas lieu, la suite de son dépeçage en revanche ne fait guère de doute. On pourra se réjouir de cette absence de guerre, se féliciter de la modération retrouvée mais pourra-t-on demain croiser un habitant de ce pays sans étouffer de honte ? Je pense à Pavel que nous avons connu enfant et je ne peux éviter la montée des larmes.

Je ne suis pas un dessinateur de presse capable de pointer d’un coup de crayon l’absurde d’une situation. Ma manière à moi est de manier les mots. Il y  a un « jeu de mots » qui s’impose à moi pour dire cette tragédie dont l’acteur principal est si incroyablement absent. Il n’y aura peut-être pas de guerre d’Ukraine mais à coup sûr il ne restera guère d’Ukraine. Et que deviendront les Ukrainiens ?

PS – Qu’on me comprenne bien : je ne fais que pointer notre hypocrisie, la mienne compris. Je ne prétends pas dire ce qu’il faudrait faire. Simplement peut-être ce qu’on ne devrait pas dire.

Spirer, respirer, conspirer

Quoi de plus banal que la respiration ? Un article intriguant sur la « pneumatopolitique » m’a fait prendre conscience de sa dimension politique. A mon tour j’ai voulu y réfléchir, entre Covid et… climatisation !

Venir et revenir, flux et reflux, pourquoi n’y a-t-il pas spirer et respirer ? D’office, dans le mot même que nous employons, nous actons que la respiration est un recommencement. Il y a des allers sans retours mais il n’y a pas d’inspiration sans expiration. Je viens de découvrir dans un texte inspirant [1] que la spiration est aussi une con-spiration (les grecs avaient un verbe pour le dire : sunpnoia, la sympnée). Le souffle est toujours un partage : nous respirons le même air et notre vie est conditionnée à ce partage. On n’y prête naturellement qu’une attention distraite tant que l’automatisme de la respiration commune n’est pas perturbé. Cette con-spiration naturelle n’a rien d’une conspiration politique… jusqu’à ce qu’un virus n’en réactive la dimension politique sous-jacente. Chez Aristote, la sympnée était la condition même du politique, à savoir l’existence d’une communauté de citoyens respirant le même air, partageant le même mode de vie. Et dans toute conspiration politique, les conspirateurs partagent bien un souffle vital même s’il est dévoyé. Là, avec le Covid, on s’est rendu compte que respirer ensemble n’allait plus de soi, que c’était même un risque pour la collectivité. Les gestes barrières, les masques – la ventilation hélas pour certains – ont séparé nos respirations. Mal nécessaire, puisque nous avons grâce à cela maîtrisé la contagion tant que celle-ci était clairement dangereuse, mais mal néanmoins. Nous ne devons pas perdre de vue que cet « air conditionné » – au sens propre du terme puisque nous conditionnons le partage du même air au fait d’être possesseur d’un pass – doit rester une exception justifiée par le bien commun. Certains craignent que notre goût pour la soumission volontaire nous laisse séparés. Pour ma part je crains plus encore l’habitude que nous prenons de privatiser notre air. Ce « chacun son air » se traduit par un fait qui est loin d’être anodin : la climatisation irréfléchie de nos habitats. Comment peut-on continuer à être cette communauté de citoyens liés par le même air respiré quand, à la moindre chaleur, nous expulsons vers l’extérieur et donc vers tous les autres la moiteur que nous ne supportons pas ? Peut-on s’offrir aux dépends des autres une fraicheur carcérale, insoutenable à terme ? Plus de courants d’air ni d’entrebâillements, plus d’interactions du dedans et du dehors qui font le charme de l’été ! Et que penser de ces capteurs de CO², de ces moniteurs d’air intérieur que le Covid risque de nous laisser en héritage ? Le bon sens et l’éducation ne suffisent-ils pas pour penser à aérer les pièces où l’on se réunit ? Faut-il techniciser notre con-spiration ?

N’oublions pas que nous REspirons ! Or cette continuité de la respiration, et donc de la vie, est désormais étroitement liée au maintien de l’habitabilité de la Terre. Ne rendons pas la Terre inhabitable par la manière dont nous choisissons de respirer ! Respirer ensemble – con-spirer – devient la manière première d’affirmer notre commune humanité. Osera-t-on revendiquer cette « conspiration » nécessaire ?!

[1] Pneumatopolitique (ce que conspirer veut dire) – AOC media – Analyse Opinion Critique

La France est un pays de gauche qui vote à droite

Qui sortira vainqueur de la présidentielle ? Le diagnostic des sondeurs et de la plupart des commentateurs politiques est sans appel : une France de droite, tentée par ses extrêmes, qui doute de la démocratie. Il faut y regarder de plus près, comme y invite le sociologue Roger Sue.

Avec son accord et en précisant que ce texte a d’abord été publié dans Le Monde, je vous invite à lire ce texte de Roger Sue, un des sociologues avec lequel j’ai le plus d’affinités intellectuelles.  Cette tribune montre clairement comment une société qui n’est pas de droite peut se laisser tenter par un vote pour la droite extrême. Son appel à reconstruire des espaces de citoyenneté pour sortir de cette coupure entre société et politique résonne naturellement avec les thématiques récurrentes de ce blog que Roger me fait l’amitié de suivre. Il est ainsi le deuxième auteur (après Jean-Pierre Worms, et ce n’est évidemment pas un hasard) dont j’ai le plaisir de reprendre les propos à mon compte.

Il ne faut pas confondre la réalité sociologique des Français avec ses représentations tant sondagières, médiatiques que politiques. Les indices visibles du progrès des valeurs de la démocratie ne manquent pas : tolérance LGBT, mariages homosexuels, record des mariages interethniques et de l’assimilation des étrangers, mouvements féministes, sensibilité accrue aux inégalités et injustices, attachement à la devise républicaine, etc. Ces indices traduisent de profonds mouvements de démocratisation souvent mal perçus et compris, autour de l’individualité, de l’égalité et de l’expressivité. Continuer la lecture de « La France est un pays de gauche qui vote à droite »

persopolitique.fr
Résumé de la politique de confidentialité

Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.