Affouage

Un mot manifestement ancien, passé de mode, qui n’évoque plus grand chose… A quoi bon y revenir ? Tout simplement parce que c’est le point d’entrée d’une pratique démocratique du quotidien qu’on a bien tort de ne pas réactiver d’urgence ! Ce mot je l’ai découvert, oublié, retrouvé par hasard et je m’empresse de le partager !!

Affouage
forêt de Saône-et-Loire

« Les affouages… Tu sais ce que c’est ?! » me demande Philippe en passant devant le panneau d’un lieu-dit sur une petite route de campagne. Je sais que ce mot ne m’est pas inconnu mais mon souvenir est trop vague, je me résous à regarder sur Google. Et tout me revient, à la fois heureux de retrouver ce mot et agacé qu’il m’ait échappé. Alors vive la Saône-et-Loire qui en a fait un lieu-dit et vive mon ami qui m’a questionné !

Retour en arrière, pas très loin dans le temps en réalité. Janvier à Die aux Rencontres de l’écologie. Comme d’habitude, j’ai préféré me laisser guider par l’intuition du moment et je n’ai rien programmé. Je sais juste que je vais écouter Olivier Hamant sur la robustesse et Luc Gwiazdzinski, sans savoir de quoi il va parler, juste pour le plaisir de le retrouver.

Ce samedi en fin d’après-midi, je suis le seul de notre petit groupe à me rendre à l’Avant-Poste, attiré par le fait qu’on va y parler de communs.  Le thème est prometteur et un peu mystérieux : « La résurgence des communs ancestraux ». Les deux jeunes chercheuses sont à la fois rigoureuses et passionnées. Continuer la lecture de « Affouage »

Elucider

Une lecture, un souvenir, un mot… Comment le mage du Kremlin rencontre Hercule Poirot pour aboutir au mot élucider, vous pourrez le découvrir en lisant ce post. Une occasion de se promener dans les méandres des associations d’idées et chemin faisant de réfléchir à notre rapport à la lumière !

Elucider
dans un bar de Vienne

J’ai longtemps aimé élucider les énigmes policières. Dans la maison familiale où nous passions nos étés, je faisais une pause systématique, laissant de côté les lectures que j’avais prévues, pour sortir un des volumes de la collection reliée des Agatha Christie. Tard dans la nuit, pris par le suspens, je découvrais enfin la mécanique implacable de la révélation quand Poirot réunissait tous les protagonistes et désignait enfin le coupable. Parfois je m’agaçais quand la révélation tenait à un indice que le détective avait trouvé sans qu’on n’en ait eu connaissance mais le plus souvent la manifestation de la vérité me séduisait par son évidence, par la limpidité de la démonstration. Il y a quelque chose de l’épiphanie dans cette révélation. On passe miraculeusement de l’ombre à la lumière (élucider, c’est au sens premier, rendre lumineux). Et puis je me suis lassé de ces constructions trop parfaites qui obscurcissent d’abord à dessein la vue du lecteur pour mieux l’éblouir à la fin. J’ai repensé à ces élucidations en lisant, dans les dernières pages du Mage du Kremlin[1], l’observation de Vadim Baranov lors de sa dernière balade, à la nuit tombante, dans une ville européenne :

[…] la grandeur un peu hautaine des façades qui surplombaient les surfaces glacées de la mer s’est faite plus affable, tout à coup radoucie par le charme des mille fenêtres étincelantes qui s’allumaient l’une après l’autre. Les lumières d’en bas, je pensais, voilà la vraie différence. En Russie elles n’existent pratiquement pas. Vous pouvez vous promener même dans les plus beaux quartiers de Moscou et de Saint-Pétersbourg, vous verrez partout les faisceaux impitoyables des plafonniers qui descendent d’en-haut et illuminent les fenêtres. Les plafonniers sont pratiques. Il suffit d’appuyer sur un bouton pour que toute la pièce soit éclairée par la même luminosité uniforme et brutale. […] Les petites lumières d’en bas, en revanche, sont peu commodes. Vous devez les allumer une par une et il en faut au moins trois ou quatre pour générer la même quantité de lumière qu’un plafonnier. Cependant le jeu des ombres portées sur les meubles et les murs crée une atmosphère propice à la conversation et à la lecture de vieux livres, au feu de bois et à la musique de chambre.

La lumière indirecte des lampes disposées aux quatre coins d’une pièce « n’élucident pas » le lieu ! A l’inverse, le plafonnier est comme Hercule Poirot, il ne laisse rien dans l’ombre avec sa lumière zénithale. On sait bien aussi le rôle que joue la lumière aveuglante dans l’obtention des aveux d’un prisonnier.

Notre monde aime trop la lumière blanche des leds qui aseptisent nos intérieurs. Nous revendiquons toujours plus « que la lumière soit faite », sur les dépenses publiques ou sur les comportements privés. Plus rien ne doit rester dans l’ombre à l’heure du soupçon généralisé et de la transparence exigée. La lumière n’est plus chaude mais froide, voire glaçante. Peut-être que cela tient à cet usage du singulier : LA lumière et non LES Lumières comme on préférait dire au XVIIIème siècle. La lumière de plafonnier est totalitaire, les lumières basses sont propices à la conversation (comme le pointait le Mage du Kremlin). La conversation, cette brique de base de la démocratie.

En questionnant cette élucidation policière du monde, je mets en garde contre la séduction que j’ai aussi éprouvée pour la compréhension instantanée d’une situation. On a l’impression d’être particulièrement lucide, de voir mieux que les autres alors que la simplicité n’est qu’un artifice de récit (que ce soit celui d’une excellente énigme policière ou d’une douteuse médiatisation de l’actualité). La lumière sans ombre, dans la nature, ça n’existe pas sauf au mitan du jour, quand toute nuance est abolie. Acceptons de ne pas tout appréhender d’un coup ! L’intelligence permet de de composer avec les zones d’ombre, elle n’exige pas leur disparition.

Nous sommes tous victimes de l’interprétation commune du Mythe de la caverne, avec cette idée trompeuse que « la » lumière peut nous guider. Pire, le mythe semble glorifier une forme de douleur et de dangerosité de l’éblouissement. Seuls les philosophes seraient capables d’affronter la lumière de la vérité et de l’apporter aux hommes apeurés, restés dans la caverne.

Acceptons ce que nous dit la culture orientale : l’ombre et la lumière sont inséparables et se complètent pour constituer la trame de la vie.

Le monde n’a pas à être élucidé, il devrait simplement être éclairé patiemment et sous différents angles en sachant ménager les zones d’ombres nécessaires au contraste. Et gardons exceptionnelle, non pas l’élucidation, mais l’illumination, moment de grâce où la lumière se fait magique, spectaculaire feu d’artifice du 14 juillet ou simple rayon de soleil après la pluie. Epiphanies toujours temporaires, belles parce qu’éphémères sans autre vérité que la joie d’un instant, partagé ou solitaire.

[1] Je reviendrai sur Le mage du Kremlin. Je n’avais pas lu à sa sortie le roman de Giuliano da Empoli. Il faut lui reconnaître une belle capacité à mettre en mots la marche de Poutine vers l’empire. C’est saisissant à l’heure où plus personne ne peut douter de la réalité de l’implacable lutte à mort qu’il a engagée avec les régimes démocratiques européens.

Confort

Le confort n’est pas un mot anodin ! Il risque de nous enfermer dans un monde insoutenable alors même que son étymologie nous incite à penser qu’il nous « conforte », nous rend plus fort. Et si nous prenions davantage conscience de cette dérive du sens d’un mot qui nous piège ?

Confort
Sur un moteur de recherche, les premières images qui apparaissent pour le mot "confort" mettent en avant les canapés ... et les bras croisés derrière la tête !!

Le confort est un mot que nous utilisons quotidiennement, mais dont l’histoire et le sens profond méritent d’être redécouverts pour mieux comprendre pourquoi nous sommes drogués au confort. En vieux français « confort » signifiait à la fois soutien physique et moral, soulagement, consolation. Remontons encore, et nous trouvons le latin « confortare », « rendre très fort », composé de « com- » (ici préfixe intensif) et « fortare », « fortifier », lui-même issu de « fortis », « fort ».

Ainsi, à l’origine, le confort n’est pas tant une notion de facilité ou de luxe, mais plutôt une idée de force, de soutien, de réconfort, de ce qui restaure et consolide. Dans cette perspective, le confort est une ressource pour affronter la vie.

Un changement s’est opéré notamment au XIXe siècle, lorsque le français a réemprunté le terme à l’anglais « comfort » qui désignait un état de bien-être physique et matériel. Cette transformation sémantique s’est accélérée avec l’avènement de l’ère industrielle et l’essor de la société de consommation. Le confort est alors devenu synonyme de conditions de vie agréables et de bien-être matériel. Il s’est peu à peu éloigné de sa dimension morale pour s’ancrer dans le tangible, le palpable. Le « confort moderne » est devenu un symbole de progrès, il ne sert plus seulement à satisfaire nos besoins réels, mais est devenu le cœur d’une logique économique, sociale et psychologique.

Ce qui était considéré hier comme une ressource, puis un luxe, est devenu aujourd’hui une norme, voire une nécessité.

Différentes « figures du confort » ont été esquissées par Olivier Le Goff. Il distingue notamment le « confort-environnement », lié à notre bien-être sensoriel (température, lumière, espace), le « confort-utilisation », qui vise à minimiser l’effort corporel grâce à des objets et services, le « confort-organisation », qui optimise notre efficacité par une organisation rationnelle. Cette typologie nous invite à prendre conscience de la diversité des formes que peut prendre le confort.

Le confort ne se limite pas à l’accumulation d’objets, mais concerne la manière dont nous aménageons et contrôlons notre environnement, tant physique que sensoriel. Il est en cela une des conditions du bien-être et donc de l’épanouissement individuel.

Le confort est en cela profondément relatif et caractéristique d’une société des individus où chacun est invité à construire son propre référentiel. Ce qui est confortable pour l’un peut être inconfortable pour l’autre.

Plus problématique, notre propre confort est souvent obtenu par l’inconfort des autres notamment grâce à l’achat de biens accessibles seulement parce qu’ils sont produits par des personnes qui en sont drastiquement privées. Le « manspreading » est une forme plus anodine mais quotidiennement vécue de ce confort obtenu au détriment des autres, en toute bonne conscience.

On vit dans un monde qui nous pousse souvent à rechercher le confort immédiat, la facilité, la satisfaction instantanée. La publicité, les algorithmes des réseaux sociaux, tout semble conçu pour nous maintenir dans une zone de confort agréable mais potentiellement limitante. Parallèlement, les enjeux sociaux et environnementaux (inégalités, crise climatique, perte de biodiversité…) sont souvent minimisés, voire niés, pour ne pas perturber ce confort ambiant.

Stefano Boni distingue bien le bien-être -l’état d’équilibre et d’harmonie physique, émotionnelle et mentale – et le confort, avec une approche originale du confort, vu comme une mise à distance de notre environnement :

Le confort agit comme un bouclier, isolant nos sens et notre perception corporelle de l’environnement naturel. Au-delà des effets agréables qu’il nous procure, il est essentiel de prendre en compte ses imperfections.

Quelques questions pour éviter que le confort nous  conduise à l’inverse de ce qu’il est censé nous procurer (un surcroît de bien-être) en nous coupant du monde  :

Sommes-nous tous égaux face à notre besoin de confort, face à cette notion si adaptable et fluctuante, façonnée par nos normes sociales et nos imaginaires personnels ? Comment pouvons-nous réconcilier notre désir de confort avec la nécessité de vivre de manière plus soutenable ? Est-il possible de revenir à une conception du confort plus proche de son sens originel, qui nous renforcerait plutôt que de nous affaiblir ?

Ce texte a été rédigé avec Sarah BASTIEN et Emile HOOGE pour un déjeuner de conversations intitulé « Appétit d’imaginaires » que nous organisons dans le cadre d’Imaginarium-s.

 

Quelques lectures :

  • Le Goff, Olivier, L’Invention du confort. Lyon: Presses universitaires de Lyon, 1994. https://doi.org/10.4000/books.pul.9410.
  • Côme, Tony et Pollet, Juliette (sous la direction de), L’idée de confort, une anthologie. Du zazen au tourisme spatial. Éditions B42 – Centre national des arts plastiques, Paris, 2016.
  • Boni, Stefano, Homo Confort, Le prix à payer d’une vie sans efforts ni contraintes, L’échappée, Paris, 2022. Voir aussi l’entretien pour la revue de l’Institut Veolia L’ère du confort, une menace pour la sobriété ? pdf

 

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