Notre-Dame, memento de l’avenir

L’incendie de Notre-Dame, en sortant le monument de sa pétrification dans un passé immuable et inactuel, peut-il nous aider à nous dégager du présent perpétuel qui est le drame de notre monde ?

Comme toujours face à un événement dé-mesuré, hors de la mesure des jours ordinaires, j’ai une boulimie de lectures. Celles qui m’ont le plus marqué parlaient du temps remis en mouvement. Gilles Finchenstein l’a très bien dit en pointant combien Notre-Dame représentait l’antithèse de nos vies contemporaines (le temps long, la lenteur, le silence, le collectif, la douceur, le sacré) https://www.franceinter.fr/emissions/le-grand-face-a-face/le-grand-face-a-face-20-avril-2019 (32’30’’)

Mais c’est dans Le Monde que je trouve la formule qui dit le plus justement ce que nous avons été nombreux à percevoir confusément :

Notre-Dame qui brûle, c’est le surgissement brutal et forcément inattendu d’un passé, qu’on croyait infaillible et qui fait irruption en même temps qu’il s’annihile. Notre-Dame qui brûle, c’est la tyrannie du présent qui devient insupportable.

L’historienne Fanny Madeline disait également dans le même article :

Lundi soir, l’image de Notre-Dame qui s’embrase apparaît soudain comme la manifestation inattendue mais évidente d’un effondrement. Ce mot, qui est là, dans l’air du temps, qui nous menace et nous projette dans un avenir inimaginable, vient s’imposer pour décrire ce qui arrive à l’un des édifices les plus emblématiques de notre histoire, frappant notre mémoire, ouvrant cette faille temporelle où l’avenir vient percuter le passé. Et là, impuissants devant nos écrans, tout se passe comme si nous assistions à ce que nous ne voulons pas voir : les flammes de Notre-Dame, c’est notre monde qui brûle. C’est l’Effondrement, avec un E majuscule, celui de la biodiversité, c’est la grande extinction des espèces, la fin des démocraties libérales occidentales.

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Notre-Dame

Nous n’avons pas vu s’écrouler un bâtiment religieux, pas même un monument ni une pièce majeure de notre patrimoine. Nous avons été bouleversés et nous avons retenu notre souffle pour Notre-Dame de Paris. L’émotion planétaire instantanée n’a jusqu’ici concerné que le décès de stars de la chanson comme Mickael Jackson ou les victimes des attentats les plus symboliques. Imaginons un instant que Saint-Pierre de Rome ait été la proie des flammes. Les journaux auraient mis l’info à la Une mais je suis certain que l’émotion aurait été moins vive. On l’a entendu sur tous les plateaux de télé, Notre-Dame n’est pas seulement une cathédrale, c’est un personnage de notre imaginaire commun grâce à Victor Hugo et à Viollet-le-Duc mais aussi à Walt Disney ou à Luc Plamandon. Et, je crois, aussi grâce à son nom : Notre-Dame, et non Sainte-Marie. La distinction due aux saints passe ici pour les chrétiens par le terme de Dame, le mot employé au Moyen-Age pour marquer la noblesse d’une femme. Gente Dame. Mais cette noblesse n’est pas une mise à distance, elle est associée au possessif Notre qui marque un attachement affectif partagé, une familiarité. Noble et familière, telle resurgit Notre-Dame, personnage immémorial de Paris qu’on laissait la plupart du temps aux touristes mais vers laquelle immanquablement on tournait le regard dès qu’on traversait la Seine. Elle était là et ça nous suffisait. Nous rassurait. Cette fonction pacifiante, tellement précieuse, nous la perdons pour longtemps. Nos regards se tourneront toujours vers elle mais notre cœur se serrera en la voyant défigurée. Il faudra aller chercher la paix plus profondément, elle ne sera plus offerte à tous comme une évidence. Cette perte-là, nous n’en voyons pas encore toute la portée mais dans une ville aussi stressante que Paris, elle est sans doute durable.

Avec l’incendie de Notre-Dame, nous comprenons encore mieux comment, nous humains, nous vivons avec des êtres de chair et de sang mais aussi avec des êtres de souvenirs et de récits tout aussi réels les uns que les autres. Nous savons depuis toujours que nous sommes une « espèce fabulatrice » comme le dit Nancy Huston. Nous le comprenons toujours mieux, jusqu’à renoncer à parler de virtuel pour tout ce qui est numérique et ô combien réel. Nous intégrons à la famille humaine, par des familiarités qui n’ont plus rien à voir avec les limites de nos proximités physiques, des stars que nous ne fréquentons que par leur musique ou les pixels de nos écrans, des « personnifications» comme Notre-Dame, … Ce brouillage des frontières, ces familiarités fictives nous apparaissent souvent ridicules et exaspérantes mais, parfois, bouleversantes et vraies.  Les larmes de désespoir pour un chanteur mort, les millions promis pour un monument détruit peuvent sembler hors de toute mesure, contraster avec notre indifférence ordinaire aux besoins de nos semblables, mais elles sont aussi le signe de notre humanité, humanité à la recherche (parfois erratique) de ce qui à la fois la dépasse et lui est en même temps extrêmement, intimement personnelle.

Critiquer rationnellement cette débauche d’émotion, cette « synchronisation fictive » est vain. En revanche nous pouvons une fois de plus tenter d’œuvrer pour que cette communion forcément éphémère nous ouvre de nouvelles perspectives de solidarité. Il me semble que contrairement à 2015, l’année des attentats, nous avons aujourd’hui des combats amorcés vers lesquels reverser notre soif de fraternité. Une part non négligeable de la jeunesse qui a eu la chance de faire des études longues est aujourd’hui en mouvement. Des projets enthousiasmants voient le jour, je l’évoquais dans un précédent papier.

 

Centre

Du centre-ville au centre commercial en passant par l’hypercentre, un petit tour autour du centre !

Une notation entre parenthèse dans un texte de Christian Bobin[1] à propos d’un pont du Creusot censé mener au « centre-ville » : il n’y a pas plus de centre ici que dans tout l’univers. Je pense immédiatement à ces panneaux « centre-ville » que l’on suivait dans le monde d’avant le GPS. Il y a toujours un moment où ces panneaux disparaissent sans qu’il y ait eu une indication formelle du fait qu’on était arrivé au centre-ville. Celui-ci est censé se reconnaitre spontanément. Le centre est ainsi plus une destination recherchée qu’un lieu affirmé. Parfois le centre-ville  d’une banlieue pouvait se dépasser sans qu’on y prenne garde et on trouvait de nouveaux panneaux indiquant toujours « centre-ville » mais cette fois dirigés vers le centre de la ville centre. Il n’est pas étonnant que le flou de la notion de « centre » ou son caractère extensif ait conduit les urbanistes à parler d’hypercentre, notion pour le moins incongrue pour la géométrie !

Il y a quelques temps, en allant à un « centre des congrès », je trouvais cette notion de centre bien démodée pour désigner un lieu censé rayonner. Tous les « centres » qui me venaient alors en tête fleuraient bon les années 60 ou 70 : le centre culturel, le centre social, le centre aéré. Le centre postal ou le centre des impôts ont perdu de leur superbe. Le centre commercial n’est plus que l’ombre de ce qu’il représentait au temps de la consommation insouciante. Le centre hospitalier résiste mais réduit à ses initiales dans CHU ou CHS.

Notre imaginaire du « centre » est en train de péricliter et j’avoue trouver ça plutôt réjouissant. Le centre redeviendrait ainsi ce qu’il était pour les romains une simple branche de compas (le centrum) utile pour tracer un cercle ou encore l’aiguillon ou l’objet pointu (kentron) des grecs. Aux divers « centres », nous préférons aujourd’hui les lieux décentrés et informels comme les tiers-lieux, les friches, les halles réaffectées. Même les places, nous tentons d’en faire des lieux moins centrés, moins solennels, plus vivants, plus démocratiques comme les décrit Joëlle Zask[2]. Et si nous avions moins besoin de centralité que de convivialité, « n’importe où dans l’univers », comme dit Bobin ?

 

 

[1] paru dans le numéro 01 de Zadig ,la nouvelle revue d’Eric Fottorino

[2] Joëlle Zask – Quand la place devient publique, éditions Le bord de l’eau 2018 déjà évoqué dans persopolitique 

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